Je ne mets pas le nom de l’affreux Guéant à l’affreuse phrase dans le titre, mais c’est bien de cela qu’il s’agit, et surtout de l’analyse très pertinente et de grande qualité, comme toujours, d’Alain Gresh sur son blog Nouvelles d’Orient. D’entrée voici l’article qui déconstruit vite et bien ce concept un peu foutoir, et beaucoup foutage de g., de « civilisation » (entendons par là civilisation occidentale puisque le terme est bien utilisé ainsi comme vous allez le voir) :

« Une mission sacrée de civilisation », par Alain Gresh
– Nouvelles d’Orient

Voilà. C’est bien, hein ? Encore un lieu où sont exprimées des choses de la façon dont je voudrais les dire, avec la clarté qui me manque souvent et la précision qui doit bien me manquer, elle, à peu près toujours, surtout dans les échauffourées les plus passionnées. Mais tout est là et j’adhère complètement.
Un petit extrait :

« (…) En quelques décennies, le monde va profondément changer. Alors qu’au XVIIIe siècle il était encore multipolaire – en 1800, la majorité de la production manufacturière mondiale se faisait en Chine et en Inde –, durant la première moitié du XIXe siècle l’hégémonie du Vieux Continent s’affirme, et ce pour des raisons diverses : avantages tirés de la conquête de l’Amérique ; profits accumulés du commerce triangulaire (Europe-Afrique-Nouveau Monde) dominé par la traite des esclaves ; et, surtout, maîtrise de la technologie et de l’art de la guerre : la multiplication des conflits en Europe donna aux États une capacité à mobiliser leurs ressources pour de longues campagnes militaires, capacité dont ne disposaient pas les immenses empires indien ou chinois, qui déléguaient la défense de leurs lointaines frontières à des potentats locaux ou à des tribus.

Cette capacité militaire et les conquêtes elles-mêmes vont constituer, a posteriori, une preuve de la supériorité non seulement militaire et économique, mais aussi « culturelle » et même « morale » du Vieux Continent, laquelle s’enracinerait dans des conceptions philosophiques que certains font remonter jusqu’à la Grèce antique. On vit ainsi, remarque Jennifer Pitts, apparaître des arguments selon lesquels la nature progressiste de leur civilisation donnait une supériorité morale aux Européens, leur permettant d’agir à leur guise dans les régions « barbares ». La Palestine sera, parmi d’autres, un champ d’application de ces théories. (…) »

J’en profite pour signaler à nouveau la pétition de soutien au député Serge Letchimy, qui a eu le courage de dire la vérité à l’Assemblée (ce qui a eu pour effet hallucinant de faire se lever et quitter la salle les députés UMP, tout vexés et à mon avis pas pour rien), et qui se retrouve, lui, un comble total en un lieu se disant démocratique, mis en demeure de se justifier et de s’excuser et risquant une sanction (!) pour avoir dénoncé clairement le racisme insupportable des propos de Guéant le beurk. Pétition ici :

Pétition – Aucune excuse, aucune sanction,
soutien total à Serge Letchimy

A propos de colonisation… je me souviens vaguement avoir croisé chez mon paternel un ouvrage intitulé « Le livre noir de la colonisation« , mais je ne suis plus sûre du titre, en tout cas je me souviens bien que selon lui c’est une référence. Il faudra que je creuse un peu ça, pour les moments où je supporterai à nouveau les lectures assez glauques – que j’ai tendance à éviter ces temps-ci, mais qui n’en restent pas moins nécessaires.

A propos de Nouvelles d’Orient… C’est vraiment un haut lieu de journalisme et d’analyse, je ne le dis pas souvent mais c’est vraiment une référence pour moi. ça m’a un peu gratté, d’ailleurs, quand j’ai réalisé que je n’y étais pas retournée depuis un moment, je vais réparer ça avec un petit abonnement.

A propos de militer pour la Palestine… Suivant de plus loin, d’ailleurs et désormais, l’actualité palestinienne, je n’ai pas mis à jour mes lectures ni fait grand chose, voire rien du tout, pour poursuivre la voie militante de ce côté-là, qui en a pourtant autant besoin que d’habitude. (Je n’ai même pas encore donné suite à l’amie anglaise qui s’est très gentiment proposé de traduire en anglais mon carnet de voyage, Petits cailloux de Palestine, ce qui est une honte totale à verser sur ma tête !)

Le thème est difficile, peu porteur malgré une opinion publique plutôt favorable au soutien de la situation des Palestiniens, et en général c’est le genre de sujet qui amène peu ou pas de réactions (Hel girl est hors compétition sur cette remarque ;) , ne serait-ce, outre la constance de son amitié, que pour sa participation soutenue et très très appréciée aux commentaires dudit carnet).
Mais je ne veux pas, en disant ceci, pointer ou critiquer qui que ce soit, bien sûr, chacun est libre de réagir ou non, d’être intéressé ou non. C’est juste que je vais rarement voir les stats de fréquentation de mes Petits cailloux, parce que le ratio milliers de visites / moins de 10 commentateurs me rend toujours un peu triste, et assez pessimiste sur la réalité du ‘passage de témoin’ que j’ai cru demander de faire aux lecteurs…

Enfin bref, je voulais surtout dire que d’une manière générale, pas seulement ou pas forcément sur la Clef, parler de la Palestine, j’ai constaté que ça fait souvent plouf, que c’est connoté, et que c’est bien dommage. Que j’ai cessé de faire passer tout ce que je reçois concernant la Palestine – et avec l’association je reçois plusieurs mails par jour depuis des années, pas forcément pratique d’ailleurs -, parce qu’il existe des organes qui font ça bien mieux et bien plus régulièrement que moi, et qui ont un impact, une structure, un porte-voix, une ampleur qui n’existent pas du tout ici. Je vous renvoie pour tout ça à la section « Palestine calls » des liens dans la colonne de droite de la Clef, il y a normalement tout ce qu’il faut pour être informé, et pas trop désinformé…

A y être, pour le coup je fais tout de même passer cette pétition de soutien à Khader Adnan, détenu administratif en grève de la faim depuis le 17 décembre 2011, pour protester contre le caractère arbitraire de sa détention par les forces israéliennes – pas de motif connu, pas de procès, rien, la grande classe, si je comprends bien le sens de la phrase « His detention is continuing without trial or charges« .

==> EDIT : Hélène m’avertit du lien dysfonctionnel, je remets donc ici deux liens vers la même pétition (je précise) mais qui ont deux adresses, ICI et ICI, je ne sais pas pourquoi, en espérant qu’au moins l’un des deux fonctionnera.
Et plus d’infos en français datées du 12 février, avec la source en anglais, là :

Khader Adnan, un prisonnier en grève de la faim qui ne renonce pas
– sur Protection Palestine (CCIPPP)

Je rajoute dans la foulée à ma wishlist interminable le De quoi la Palestine est-elle le nom, du même Alain Gresh, dont le très réédité « Israël – Palestine, vérités sur un conflit » est une référence célèbre (et très claire). Je sais bien que je ne pourrai pas lire ni même commander tous ces bouquins très vite – air connu – mais ça mérite de le noter dans les priorités.
(Moment de honte bis, je sais aussi que je dois pondre ma petite BiblioBulle sur mes bouquins@Palestine depuis très longtemps et que je ne l’ai toujours pas fait !)

Et j’en profite aussi pour transmettre un lien rare, comme son nom l’indique, de photographies rares de la Nakba en 1948 (comme vous le savez certainement, la Nakba signifie en arabe la catastrophe et désigne les grandes expulsions-déportations de 800 000 Palestiniens au moment de la création de l’Etat d’Israël, Etat se disant démocratique, donc). Les photos sont en noir et blanc et ne sont pas sanglantes ni très nombreuses mais sont porteuses d’une grande force, très impressionnante.
C’est de ces images que provient la photographie d’en-tête, le choix fut un peu ardu mais elle a ma préférence, pour bien des raisons. :)

A propos de colonisation et d’histoire encore… Je viens de voir que le dernier numéro de Manières de Voir, les hors séries du Monde Diplo, est consacré à l’Algérie. Alors il va également me falloir une wishlist pour les revues !

A propos des élections approchantes… Je n’y crois plus trop, j’avoue, à la force du vote et à la réalité de cette démocratie, et je suis plus que sceptique (à force de lire Nicolino, entre autres) sur l’impact et les bonnes intentions du parti dit vert, mais bon, je suis quand même une bonne fille alors j’irai voter et je dois même faire partie de ces fameux 2% d’illuminé-e-s à la bougie (mais j’aime bien ça) qui roulent un peu pour madame Joly. On a regardé l’intégralité de son discours à Roubaix de samedi dernier, et force est de constater que si le talent oratoire n’est pas vraiment son truc, ce n’est pas grave, son propos est très fort et cohérent, le passage sur les copinages sarkodictatoriaux n’est pas le moins percutant, et j’aime bien ses propositions. Et surtout, en définitive, quelqu’un qui n’est pas formaté dans le moule de la comm’ politique, bah ça fait un bol d’air frais ! :)

(Remarque moins positive, ai reçu des messages d’asso pour la protection animale, qui attend confirmation des positions d’Eva Joly sur deux questions sensibles, pour eux et pour moi, la corrida et la chasse à courre. Et là ça craint, elle se serait prononcée contre l’abolition des deux, mmmpf. C’est le seul point qui me fait vraiment tiquer, et en outre je trouve ça très maladroit, électoralement parlant, de se mettre à dos les défenseurs de la cause animale quand on est censé être écologiste ! Qui plus est quand la manif anti-corrida de samedi a rameuté à Paris plus de 5000 personnes de toute l’Europe…)

A propos de tout le reste… il y a des (espèces de) bonnes nouvelles – Monsanto condamné pour intoxication d’un agriculteur en France, une grande première – et des carrément mauvaises – la radioactivité qui remonte d’un bloc à Fukushima probablement suite au réchauffement du réacteur 2, la Grèce en feu dans un tableau dramatique peint en décembre dernier dans la Grèce sous le scalpel, et puis en pleine glaciation, une France trop précaire pour se chauffer correctement, et bien d’autres choses – mais je ne peux pas m’étendre sur tout.

Je peux juste pour finir remercier la mise au point d’Alain Gresh sur ce truc de « civilisation », parce que là, avec tous ces derniers liens, on voit qu’il n’y a vraiment, vraiment pas de quoi se vanter.

Ah ! Puisque j’ai dit il y a quelques semaines que je faisais passer moins de liens, de pétitions et cyberactions par ici, je rappelle que je mets tout ce qui ne finit pas sur la Clef sur Facebook et aussi, maintenant, sur mon compte Twitter, accessible sans inscription et donc sans vendre son âme à l’oiseau bleu (je précise pour que). Compte que vous pouvez voir sur cette même page également, donc n’hésitez pas à cliquer, ce n’est pas pour mes fréquentations (ça va bien, merci ^_^) mais pour continuer à diffuser autant que possible sur la question humaine, animale, végétale, planétaire, sur un peu tout, en fait.
Il y a donc une foultitude de choses dont je ne parle pas directement ici. Voilà voilà :)

J’achève avec, c’est dans le ton, un extrait d’Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme« , un petit livre indispensable, relevé par le collectif Les Mots Sont Importants, dont je répète l’importance (et de Césaire et du collectif). Il va être difficile de ne pas citer in extenso :

Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.

Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.

Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déférée à la barre de la « raison » comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins chance de tromper.

L’Europe est indéfendable. (…)

Cela revient à dire que l’essentiel est ici de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement, de répondre clair à l’innocente question initiale : qu’est-ce qu’en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes.

Poursuivant mon analyse, je trouve que l’hypocrisie est de date récente ; que ni Cortez découvrant Mexico du haut du grand téocalli, ni Pizarre devant Cuzco (encore moins Marco Polo devant Cambaluc, ne protestent d’être les fourriers d’un ordre supérieur ; qu’ils tuent ; qu’ils pillent ; qu’ils ont des casques, des lances, des cupidités ; que les baveurs sont venus plus tards ; que le grand responsable dans ce domaine est le pédantisme chrétien, pour avoir posé les équations malhonnêtes : christianisme = civilisation ; paganisme = sauvagerie, d’où ne pouvaient que s’ensuivre d’abominables conséquences colonialistes et racistes, dont les victimes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres.

Cela réglé, j’admets que les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu’une civilisation, quel que soit son génie intime , à se replier sur elle-même, s’étiole ; que l’échange est ici l’oxygène, et que la grande chance de l’Europe est d’avoir été un carrefour, et que, d’avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d’accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d’énergie.

Mais alors je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact  ? Ou, si l’on préfère, de toutes les manières d’établir contact, était-elle la meilleure ?

Je réponds non.

Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine. (…)

Etc.
…Bon, vraiment, lisez l’extrait originel et encore mieux, lisez le Discours sur le colonialisme sinon je suis partie pour en recopier toutes pages !
(Et si vous n’en avez pas assez, sur l’esclavage et le rapport à la loi, voyez également le Code noir, encore plus bref mais terrifiant, aberrant, et disponible en librairie).

End of tartine, salut de potron-minet :)