Mangez Buvez Gavez - sur Tramage.comGrains égrenés, semés au vent… S’il fallait ne passer qu’un témoin parmi les quinze de cette triste semaine, ce serait celui-ci, que je vous conseille sans réserve : le court-métrage « Mangez Buvez Gavez », de David Myriam (voir son site ici, et puis Tramage d’où est issu le dessin de tête), qui montre brillamment et douloureusement quelque chose que je connaissais – la torture des oies par la pratique du gavage – à l’aide d’une technique d’animation que je ne connaissais pas – le dessin-performance sur sable & lumière.

Vais-je vous gaver avec les oies gavées ?
Vous ferai-je l’affront de rappeler l’existence de Stop Gavage, dont je parlais à l’occasion d’un Noël antérieur, dans ce petit billet ?
Ou laisserai-je opérer la magie du souffle sur le sable ?

Voilà une œuvre estimable, émouvante, énervante, dé-tranquillisante. Voilà, comme le nom l’indique, enfin, ce que devrait toujours être l’art : de l’art engagé. Aussi fort politiquement et symboliquement que réussi et inventif esthétiquement. S’il en reste pour dire que l’art ça ne sert à rien… Ben, qu’on leur donne un cœur.

Alors du coup, frétillant des ailes avec ma chère Hel, toutes deux assez émerveillées, je crois pouvoir dire, devant la beauté juste de la chose, la voilà qui souffle dans ma direction quelques petits navires, quelques autres vidéos de la même technique sableuse et lumineuse, non sur le même thème précisément, mais tout pétris du même regard trop humain, de la même pâte de verre…
Des éons que je n’avais pas été si saisie par une production graphique. Le mérite de la sélection découvreuse revient donc à ma bonne amie, qui me laissa par terre avec la performance de cette artiste ukrainienne nommée Ksenyia Simonova (son site ici). Forme et fond, tout est parfait et déchirant. Cela tient de la peinture en direct, de l’opéra, du dessin d’enfant, de la tragédie. Le public est en larmes, et j’avoue que moi de même.

Les deux suivants, pour ne pas trop vous alourdir avec une chaîne de vidéos, je les garde au creux des mains parce qu’ils m’ont le plus touchée (parmi la douzaine de vidéos suivies dans la foulée, les yeux écarquillés, un peu comme si on me montrait une dixième planète dans le système solaire), toutes deux d’Ilana Yahav : One’s man Dream 2010 ainsi que You’ve got a friend 2009. (Ne pas se fier aux titres, moins délicats que les animations correspondantes).

Je ne sais pas vous, mais moi je resterais bien là des heures, à bloquer béatement devant ces tables lumineuses éclairant par en-dessous des formes d’un instant, et à parler sans fin et sans finesse de la thérapie mondiale par la poésie pure…
Non seulement les ocres et sépias obtenus sont superbes, non seulement tout cela est réalisé, à une vitesse parfois prodigieuse, avec deux outils tout bêtes que sont les mains, mais en plus, cette façon de recouvrir le décor, d’utiliser le dessus, le dessous, de malaxer tout ça comme sur un écran invisible, de créer du réel, c’est juste… fantastique. Surréel.
J’ai vraiment eu un gros coup au coeur :)

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Après ces grains de sable, retour explosif à la réalité multicolore, et pourtant bien glauque, de ces jours-ci, avec des graines de pastèques.
Les nouvelles toutes pourries s’étaient pourtant annoncées en fanfare, et avec un message limpide, via les pastèques qui explosent dans les champs chinois (aucun rapport bien sûr avec la pollution, les OGM, les pesticides ou le nucléaire, ou autres saloperies démultipliées). Si là on ne comprend pas qu’on a rendu la Nature folle…

C’est toujours en Chine – mais aussi en Inde me semble-t-il – que les joies de la fringue mondialisée râpent les jeans, les fleuves, les peaux, les vies, à grands coups de produits dégueulasses :

Des jeans pas très cleans – sur Basta

(J’avais un article bien plus étayé, mais je ne le trouve plus, j’ajouterai un comm’ si par un sombre bonheur je remets la main sur cette horreur éco-socio-chimico-toxique).

Et puis le monde qui part en vrille, c’est aussi un glaçon qui fond. Un glaçon de la taille d’une ville, mille glaces de la taille de mille morts, avec les belles et inquiétantes photographies de Camille Seaman dans l’océan Arctique :

Camille Seaman : photographing the disappearing Artic – sur The Ecologist

Réchauffement me dites-vous, alors voilà le dernier coup de poing à l’estomac, reçu il n’y a pas deux heures via Nathalie, pour un retour en Chine juste sidérant :

Sécheresse: le deuxième plus grand lac de Chine disparaît – sur Rue89

Pour la petite histoire, et en vous épargnant le lien pour le coup (voir La dépêche sans doute), le cradage mondial est aussi à notre porte, avec actuellement, dans ma préfecture à moi que j’ai, nommée Foix, des milliers de foyers interdits d’eau du robinet pour cause de super doses de tétrachloroéthylène, un solvant cancérigène niveau 3 utilisé dans les pressings (et je ne sais plus où), qui a contaminé l’Ariège, la rivière Ariège qui a donné son nom au département. Et hop, tout le monde à l’eau en bouteille. Et ma copine P. qui se demande si ce n’est pas en rapport avec les recherches de gaz de schiste d’il y a quelques années (dont personne ne parlait, rappelez-vous).

…Et puis alors, évidemment, et sans tournoyer dans la noirceur des actualités parfumées à la E. Coli tueuse ou aux sinistres révélations de Mr Porquet dans le dernier Canard d’hier (où je découvre, écoeurée, ne voulant pas l’accepter, que trois coeurs de réacteurs nucléaires ont bien fondu, FONDU, à Fukushima dès les premières 48h du désastre, tandis que les uns traitaient les autres de catastrophistes, et qu’un pays se prenait sa dose de radiations, à nouveau), j’achève sur la terrible, affreuse, désespérante info du barrage de Belo Monte, longtemps empêché mais plus maintenant, avec ce lien qui nous a je pense un peu tous achevés :

Les pleurs du chef indien Raoni – sur LeTitan

Et plus d’éléments là, attention, Survival ce sont des infos sur les peuples premiers qui vous décollent la peau :

L’approbation d’un méga-barrage controversé provoque l’indignation – sur Survival International

Voilà. Quatre cent mille hectares bientôt noyées, quarante mille personnes bientôt délogées et promises au néant, un massacre écologique, économique et humain… Plus la force de vous parler des ours après ça. Et gros, gros coup de blues général, face à ces absurdités à échelle géante, cette façon de foncer dans le mur à trois cent à l’heure. D’assister comme à un éloge funèbre.

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Du grain à moudre… pour, one more time comme disait une énième poupée fake dans les années 2000, ne pas plonger définitivement dans une dépression collective tenace et mortelle, au vu de ces horreurs en série.

ça ne fait pas grand chose, certes certes (et le coup des milliers de lettres pour rien concernant le barrage de Belo Monte nous a, moi et quelques autres, foutu un sale bourdon).
Mais, encore et toujours, pour être tel le colibri apportant sa goutte d’eau sur l’incendie, comme dit Keny Arkana, la non-poupée des années de maintenant, dans une interview, pour continuer, debout, ensemble, garder la conscience en éveil et le coeur en feu.
Bon, vous savez tout ça, à force. :)

Donc, un peu vite mais très sincèrement et par la grâce des copines sur le pont :

==> Via Hélène pour la découverte de W.E. Guardians, une pétition pour arrêter la guerre à la vie sauvage, rien de moins :

End the war on Wildlife Petition – sur WildEarth Guardians

==> Via Amarige, désobéir, pas qu’un peu et en sachant pourquoi :

Le Manifeste des Désobéissants – sur Désobéir.net

(ce texte colle une patate assez incroyable, et en ce moment ce n’est pas du luxe ! J’admets que je l’ai lu avant d’avoir su pour le barrage, mais tout de même.)

==> Via une bonne âme qui me sussurait un beau jour que c’était un peu facile de recopier des liens et de faire du contenu de blog avec de la revue de presse : bon eh bien, pas de lien pour ce paragraphe, juste la certitude, tranquille, ou pas assez justement, que c’est encore la meilleure chose à faire. Passer le témoin, attraper quelques grains de sable avant la dispersion totale. Je pourrais ne parler que de ma petite vie, mes petits ou gros soucis (et il y en a, de fait), mes bouquins chéris, moi-je. Et si je ne le fais pas, ce n’est pas un oubli. C’est un choix, vraiment.

Et si cette bonne âme savait à quel point j’ai les boules à chaque fois que j’essaie de faire passer un message, quel qu’il soit, qui ne me concerne pas qu’à * moi *, et qu’on me rétorque des trucs sur ma pomme, en bien ou en mal, qu’importe (comme par ex. quand je tentais péniblement d’introduire des choses sur la situation du peuple palestinien, et qu’on me disait « ah mais quel courage », gnagna, mais fuck, c’est pas le problème, on s’en fout, et puis faut pas de courage pour dire qu’on est hallucinée par ce qu’on voit !). Si elle savait à quel point j’aimerais que le message * passe *, vraiment, vite, et beaucoup. Comme j’aimerais que les comportements changent, que les mentalités changent, qu’on puisse parvenir à ne plus se contenter de relayer les infos, s’en désoler, s’en offusquer, s’en éloigner, et qu’on se mette à * changer *, nous, chacun de nous, en commençant par soi, ses choix, sa vie, ses achats, ses…
Bon. Tout, en un mot.

Changer tout, penser Planète, et non plus Nombril.
Qu’on ne me demande plus pourquoi je fais ça, pourquoi je ne m’habitue pas, pourquoi je prends de mon si cher temps pour ce minimum vital.
Qu’on embraye.
Je ne sais pas comment dire.
Je voudrais tant que ça marche, les petites gouttes d’eau – et alors, si elle savait enfin, ce que je suis heureuse quand je vois les copines sur les barricades à leur tour, vous ne pouvez pas savoir. :)))

(ça ce n’était pas un lien de plus, c’était juste pour préciser, si besoin était, ce léger point légèrement relou, et légèrement éclairci :P)

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Conclusion, graine de génie… Je vous laisse à l’étape avec la promesse de ce splendide texte, beau comme tout et emplissant d’évidence joyeuse (si, c’est possible après une telle litanie), un article du journaliste québecois Derek Rasmussen, intitulé « Rebâtir la communauté », écrit dans une langue simple et en uppercut direct, et paru dans le n°17 de L’Ecologiste (la même que The Ecologist, mais en V.F.).
Je n’ai pas encore déniché une éventuelle version intégrale en ligne, alors je me contente pour l’instant de la référence, si je suis motivée et/ou bien insomniaque, je vous en copierai ou scannerai de grands et merveilleux passages.

Ce qui suit, comme de juste, peut et doit être utilisé pour ce que c’est : de véritables talismans, un secret en sanskrit, et une charte pour nettoyeurs d’arcs-en-ciels. :)

Pépites…

Ils n’ont pas quitté la terre – aucun d’entre nous ne l’a fait. Nous avons tout simplement amassé des couches de béton entre elle et nous. Des couches de béton et de concepts – mais nous nous cramponnons encore plus aux concepts qu’au béton.

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Là est le mensonge des économistes. En 1956, l’économiste DH Robertson demanda : « qu’est-ce donc que les économistes économisent ? » Sa réponse fut : « l’amour, la plus rare et la plus précieuse de toutes les ressources ».(…) Le chroniqueur du Business Week, Robert Kutitner, disait : « Cette conception de l’amour est, évidemment, l’antithèse du modèle du marché, dont l’essence est la rareté. » (…) Un père n’achète pas du pain à sa fille à partir de motivations de marché, mais à partir de l’amour. Il donne. Générosité. (Du sanskrit dana). En Orient, dana est le premier principe de moralité, un pilier de l’hindouïsme et du bouddhisme. C’est l’acte révolutionnaire le plus radical dans lequel on puisse s’engager. Donner sans rien attendre en retour? Dana n’est pas du calcul, ce n’est pas une transaction, ce n’est pas de la réciprocité. C’est le Don.

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Alors, revenons à l’antidote : un lieu, nous devons vraiment habiter ce lieu. Nous devons au fond devenir des indigènes de ce lieu. Cela prendra des générations, une centaine d’années, deux cents ans, peut-être davantage. Or qu’est-ce qui fait qu’un peuple devient indigène ?
Les Inuits sont des indigènes ; ils connaissent leur territoire, leurs liens de parenté, leur longue histoire orale, leurs associations avec des animaux, leur climat, leurs lieux. La différence entre un indigène et un non indigène tient au type de relation avec les lieux. Les peuples indigènes pensent que la terre et le ciel les englobent, ont des droits sur eux, les possèdent. A l’inverse les peuples non indigènes croient qu’ils possèdent la terre, qu’ils possèdent l’eau, qu’ils possèdent le ciel.
Un peuple indigène se compose des gens qui croient qu’il appartiennent à un lieu ; un peuple non indigène se compose des gens qui croient que les lieux leur appartiennent.
Sommes-nous capables de prendre racine et d’habiter ce lieu-ci ?

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Nous sommes un agrégat d’individus déracinés et nous avons besoin de revenir à la maison. Mais nous ne pouvons le faire en évinçant ceux qui se trouvaient déjà là. Nous ne pouvons le faire en mettant un prix sur chaque arbre, poème, rivière ou main secourable. Nous ne pouvons le faire par peur, par cupidité ou par illusion. Nous pouvons le faire en invitant nos voisins pour le thé, en plantant un prunier tout en sachant que nos enfants auront près de dix ans quand ils pourront en cueillir les premiers fruits. Nous pouvons le faire en laissant cette terre nous appeler à la maison.

…Bon, j’achève là, je vais encore pleurer. Il y en a des pages comme ça.
Ces mots me serrent la gorge, me piquent les paupières.
Avec Derek comme marchand de sable (mais pas d’illusions), je vous souhaite une bonne nuit, les amis, en espérant vous voir rêver les yeux ouverts.
Et rentrer enfin à la maison.

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(PS. L’architecture de mes billets de Clef ressemble de plus en plus à celle du phare Psychopompe, là d’un coup c’est flagrant ^_^… En ne désespérant pas de rattraper, aussi, mon retard sur ces vagues-là, ô combien nécessaires et appréciées !)