Il est des moments où il faut savoir partir. Fût-ce de chez soi.
Savoir faire silence, résister à la tentation éternelle de répondre, toujours répondre, toujours se justifier, se défendre ou contre-attaquer. Tentation renouvelée, et redoublée pour les bretteuses verbales dans mon genre, de répondre pour ne pas laisser courir les mensonges, fleurir les rumeurs, pourrir les situations ; de répondre pour rétablir, ou avoir l’illusion de rétablir, une quelconque vérité, tenter de renouer les fils des compréhensions perdues. Illusion de batailler contre les interprétations délirantes, contre les procès d’intention ingagnables, contre les structures malades d’elles-mêmes, comme si je ne savais pas, à force, qu’on ne combat pas le délire, et par le raisonnement, la rationalité et l’empathie, encore moins, bien sûr – ces trois choses étant si cruellement absentes desdites structures. Tentation prégnante. Illusion.
Bref.
Savoir se taire, chausser ses souliers et partir.
Sans espoir ni volonté de justice, de compréhension ou d’amélioration, juste en lâchant l’affaire. Tel est le fabuleux conseil, conseil-qui-n’en-est-pas-un (heureusement), du trente-sixième hexagramme, tirage salutaire, Lumière Obscurcie.
Quiconque n’a jamais tiré les tiges d’achillée – ou les cure-dents du pauvre ! – ou lancé les pièces du Yi Jing ne peut peut-être pas appréhender l’intensité du soulagement, la puissance du message, la puissance tout court de cet astrolabe incroyable. Mais peut éventuellement, aux virages de son existence, ressentir le frisson de fraîcheur et la sensation enivrante des yeux lavés de leurs taies, de ce truc fou, fou au bon sens du terme, fou parce que si sain dans un monde parfois si malsain, de la récupération du libre arbitre.
Rien ne peut s’opposer assez vivement, assez rageusement, à cette sensation-là. Rien.
Plus rien n’a de force, plus rien n’a de prise.
Plus que la liberté, le libre arbitre.
Bon sang que c’est bon.
Et se dire, comme quand on essaie ses nouvelles lunettes, et qu’on y voit clair, net, pour la première fois depuis si longtemps, et que l’on s’amuse à dénombrer chaque petite feuille de chaque petit rameau de l’arbre tout là-bas, auparavant tache verte, poétique et toute floue :
« Mais comment je faisais, avant. » :)
Allez, tout cela est bien sibyllin, comme une lumière obscurcie, un peu. (J’ai fait d’autres tirages depuis, différents, très, j’ai même dernièrement tiré l’hexagramme opposé, qui ne portait pas un message inversé cela dit, mais dessinait une position autre, évidemment, une attente – sereine ou non, patiente ou non – d’une nouvelle phase, à bien des niveaux !)
Je voulais initialement écrire cet ultime billet sur ma Clef aimée pour dire, ben, juste, que c’était très probablement le dernier.
Je voulais l’appeler au départ ‘La Clef sous la porte‘ mais celle des champs est bien plus sympathique, et de fait, bien plus proche des réalités présentes et à venir.
Et puis celles et ceux qui me connaissent bien, savent ma tendance naturelle à laisser les portes ouvertes. :)
Ainsi soit-il, je ne compte donc pas fermer ce blog, personnel, foutraque et qui fut bien vivant, ni l’archiver au fond d’un DD externe ou d’une clef en minuscule. La Clef reste en ligne, en mémoire de tout ce qui y a été vécu, de si positif, de si motivant, de si réconfortant parfois.
Concrètement, et hors phrasés obscurs et abscons, sur les cairns du sentier centrifuge : je n’ai plus le temps de tenir un blog personnel, je l’ai beaucoup dit et puis, les dates des derniers billets antérieurs le disent mieux, c’est devenu vraiment vrai. Et cela va le devenir encore davantage, si une telle chose est possible (elle l’est).
Je me suis beaucoup étendue en ces lieux tout bleus sur ma vie personnelle, sans tout dire, il y a tout de même eu des résonances.
Sur cet aspect donc, je souhaiterais tout de même être rassurante, si jamais : ce manque chronique de temps n’est pas négatif, loin de là, la phase présente est même en passe d’être plutôt géniale sur bien des plans. Petite famille magique qui pousse à l’air libre, offrant des joies à peu près indescriptibles. Projets de pierres & de saules qui se concoctent, avec la plus grande et la meilleure moitié qui puisse exister. Maladies endocriniennes actuellement complètement rétablies (je fais quand même gaffe aux vents contraires, toujours prompts à re-déclencher la maladie de la colère et des tremblements). Incursions dilettantes dans la jungle merveilleuse des kanji (très dilettantes hein. Tempus Fugit). Et le tout permis – malgré les passages difficiles et les deuils inachevés que constituent plusieurs pertes douloureuses dans le même semestre – permis donc par le grand saut vers mon nouveau travail, ô combien meilleur que ce que j’avais pu imaginer, si radicalement différent de mon pénible poste précédent (enrichissant mais devenu pénible voire intenable), où je m’éclate tellement et où je découvre tant de choses et de rencontres dont je n’avais pas rêvé, et où je suis au final si bien, pour l’heure, que je n’éprouve même plus ce besoin pressant de survie vitale de changer de job, de branche, d’univers. Excellente surprise, chronophage certes mais épanouissante.
Première chose.
Deuxième chose, j’ai découvert cinq ans après tout le monde ou presque l’utilisation de Twitter, toujours un peu trop addictif il est vrai, mais qui remplit mieux et plus synthétiquement une des fonctions premières de la Clef : linker, partager, transmettre, retweeter donc, ce qui m’intéressait de partager, de marque-pager, de souligner. Ce qui rend assez caduc, et bien plus lourd techniquement, la tenue à jour de ma petite Clef.
(Ah, pour Twitter : suivre, ou pas, les petits cailloux @_sumitsuki_ – le compte dans la colonne ci-contre @Fa_Cryptomeria n’est plus actif lui non plus. Tinuviel, Nienna, Petitefa, Fa Cryptomeria, Sumitsuki… Je vous épargne une autre tartine sur les noms & les peaux. Pourtant j’en aurais à dire, vous me connaissez ^.^)
Troisième chose, je ne sais pas grand-chose, ni ne fais grand cas, d’une prétendue objectivité, ou d’une neutralité toute artificielle (du moins c’est ainsi que je le sentirais, si je m’essayais à être neutre et lisse et consensuelle et ceci cela), en revanche je m’appuie beaucoup, énormément, sur l’intersubjectivité. Tout en sachant si peu des affaires humaines, je sais bien, quand même, moi, qu’on n’est rien sans les autres. Qu’on n’existe pas seul. Que nous faisons partie du monde et des autres, et que le monde et les autres font partie de nous. C’est comme ça. L’individualité forcenée, les ego terrassants, les miroirs déformants, les pièces closes et forcloses, les discours paralogiques, la solitude pure et dure (très dure quand très pure d’ailleurs), tout cela, ce n’est pas la névrose, et clairement, ce n’est pas moi.
(Passque moi je suis bien-bien névrosée, pour ceux qui suivent :D)
Alors, quid de la troisième chose ? Et bien voilà, la troisième raison de ne plus être, de ne plus être active en tout cas de cette Clef, c’est que ni moi ni ce lieu ne sommes neutres. Et que je ne compte pas débarrasser les meubles, épousseter les échos ni faire fuir les fantômes de ces beaux moments. (C’est uniquement quand je ne vais pas bien que je fais le ménage à fond, ceux qui me connaissent en profondeur savent aussi cela – et de toute façon je trouve ce truc de ménage complètement saugrenu.)
Je ne peux pas faire semblant que tout est cool et okay ici, désormais.
Et je ne peux pas repartir sur autre chose, dans la même maison. ça ne fonctionne pas. Et je n’en ai pas envie.
(Never explain, never complain. J’ai de tous temps admiré ce proverbe, autant que je l’ai trouvé incroyablement dur à tenir, en tant que ligne de conduite. Et de fait j’en ai passé, de l’énergie, de la salive, des pixels et des nuits blanches, à faire précisément l’inverse. Ci-gît donc un héroïque effort, héroïque ou pathétique selon les angles de vue, pour suivre à nouveau cette voie non tracée ^.^)
Juste partir, ne plus toucher à rien, laisser la porte ouverte.
Sans un regard en arrière ? Bien sûr que si. J’ai passé des années géniales sur la Clef de Fa, qui était un bout de moi et pas que de moi (cf. § dessus). Je ne regrette rien, comme dit la chanson et pour n’éviter aucun cliché ^.^, et je ne vais rien expliquer de plus non plus.
Voilà. C’était bien. C’était un bon morceau de vie. Merci pour ça. :)
Concrètement-le-retour, d’évidence je ne suis pas encore totalement guérie de ma Net-addiction, en témoignent les fourneaux toujours fumants de Cuivre & Cumin, les tweets en bataille et les Instagram en vrac. Et comme je l’avais évoqué vite fait avec une ou deux qui le savent, et qui l’ont pratiqué avant moi, j’ai commencé à ficeler ce carnet de lectures dont je parlais depuis longtemps.
Je mettrai le lien bien sûr en ligne ici, pour ceux que ça intéresse, dès qu’il sera visible, là c’est le chantier, et puis ça manque encore de matière finie, le temps, toujours, les yeux plus gros que le ventre, toujours aussi (bon je ne promets rien pour le ventre ! ;) ).
Je voulais le faire dans la foulée de ce billet d’adieu – tartinesque en diable, malgré mes bonnes résolutions, mais bon… il y a des constantes qui restent constantes, mos’ def’ ^.^ -, et puis la concordance des temps n’est pas au rendez-vous, ce n’est pas grave.
Je suis bien soulagée en tout cas d’avoir fini par avoir compris que je ne devais pas transformer la Clef en blog livresque (ce qui était l’idée initiale, mais qui ne convenait pas véritablement), mais juste, voilà, la laisser en l’état, à l’image de ce qu’elle fut et représente encore, s’ensauvager doucement, et partir au grand air sur ce nouveau projet de pierre & d’encre, assez irréaliste comme il se doit, mais dont le bidouillage m’a procuré une joie sans pareille, je peux vous l’assurer. :))
Peut-être à bientôt, donc, ici ou là, et je n’ai plus d’autres mots que ceux-ci, toujours au cœur :
Prenez soin de vous,
et allez en paix.
:*
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Doigts violacés
Vers un rêve de printemps
Les cryptomères
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Sumitsuki
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